Cet article précède les articles « Faites jaillir le créatif qui sommeille en vous » et « Développez la créativité de votre enfant ! «
Les vertus de l’ennui pour les enfants…
Pourquoi diable parler, dans un blog proposant des activités en pagaille, de l’importance de l’ennui pour l’enfant ?
Je vais commencer par une citation du psychanalyste Adam Phillips, cela fait prétentieux mais je n’ai pas trouvé meilleure entrée en matière : « Combien de fois l’ennui de l’enfant n’est-il pas confronté à cette forme de désapprobation particulièrement déconcertante qu’est le désir de l’adulte de distraire l’enfant ? Comme si les adultes avaient décidé que la vie d’un enfant doit être ou doit sembler être sans arrêt intéressante. Or il y a peu de choses plus opprimantes pour un enfant que de se sentir requis par l’adulte de s’intéresser à quelque chose sans avoir eu le temps de trouver ce qui l’intéresse, lui. L’ennui fait partie intégrante du processus de « prendre son temps ». «
Et d’expliquer : « l’enfant qui s’ennuie attend de retrouver son désir » , il a besoin de ces pauses pour retrouver sa présence et son enthousiasme dans ses occupations et ses jeux. (ref. 1)
La solitude nous angoisse, et pourtant nous avons tous besoin d’être seuls pour nous ressourcer. C’est l’un des paradoxes de l’être humain. Dans « La capacité d’être seul » (1958), Winnicott, un autre grand psychanalyste, montre comment le petit enfant fait l’expérience de la solitude bien que sa mère soit à ses côtés. Il met en évidence l’aptitude à être seul psychiquement tout en ne l’étant pas physiquement. Alors qu’il ressent la présence maternelle, sa capacité à être seul est le signe que l’enfant est mûr d’un point de vue affectif.
La capacité à l’ennui est essentielle tout au long de la vie. (cf. P.S.)
Peut-être admettons-nous cela intellectuellement, mais notre vie moderne nous amène néanmoins à ressentir une angoisse profonde envers la solitude et l’inactivité.
Et cette angoisse se reporte sur les enfants…
Robert Paul Smith, qui a écrit le remarquable livre intitulé « How to Do Nothing with Nobody All Alone by Yourself », qui a inspiré cet article, dit :
« Je comprends que certains s’inquiètent des enfants qui passent beaucoup de temps seuls, mais je m’inquiète encore plus au sujet des enfants qui ne savent pas s’occuper seuls. Il s’agit de quelque chose que vous aurez acquis pour le reste de vos vies. Et je pense que c’est une bonne chose à faire ; vous finissez par vous connaître, et je pense qu’il s’agit là de la chose la plus importante au monde. »
Les jeux des enfants impliquent de plus en plus d’écrans et d’interfaces, mais être seul avec un écran n’est pas du tout la même chose qu’être seul avec soi. Les enfants ont ainsi tendance à perdre l’opportunité de goûter à de vrais moments de solitude, des moments de qualité avec eux-même.
(Notez à ce sujet que Steve Jobs et de très nombreux autres patrons d’entreprises high tech étaient ou sont des « parents low tech », limitant au minimum les contacts de leurs enfants avec les écrans et objets électroniques… ici la source)
Pour laisser l’enfant expérimenter cela, Winnicott propose de suggérer les choses sans les imposer, de créer un cadre, un environnement propice. Aujourd’hui, même les jeux de LEGO (lire notre article à ce sujet) sont proposés comme des kits aux possibilités limitées à 2 ou 3 modèles. Les parents sont pressés de fournir aux enfants des activités et jeux dits « éducatifs » afin que le moindre moment du planning de l’enfant soit « utile » et « productif ». Or s’il est vrai qu’il n’existe aucun kit pour apprendre à s’occuper tout seul, les activités non structurées portent en revanche en elles de fantastiques recompenses… La première que rappelle Robert Paul Smith étant le « plaisir de découvrir des choses. »
Alors oui, laisser l’enfant s’ennuyer l’amènera à identifier son désir, à ouvrir son esprit, à découvrir des activités non structurées, à aller voir dans les livres qui trainent chez vous, et peu importe si le sujet n’a pas d’intérêt immédiat apparent… C’est le principe de la sérendipité, et il n’y a pas de sujet « noble » ou pas ! Je me souviens avoir passé des heures étant enfant à consulter le magazine « PLM : Production Laitière Moderne » (eh ouais ! Il existe encore, c’est ici si vous êtes intéressés) au même titre que le « Tout l’Univers » ce monument malheureusement disparu… Je considère que je tire tous les jours le bénéfice de ce butinage enfantin.
Nous verrons dans un prochain article comment encourager la créativité des enfants sans la brider : tout l’intérêt est que les enfants trouvent la motivation en toute chose en eux, et non qu’elle soit dirigée vers une récompense extérieure suite à l’accomplissement d’une tâche… C’est par cette voie que viennent, entre autres, le goût de l’effort, la curiosité, et l’ouverture d’esprit.
Bon j’arrête ici, je ne voudrais pas que cet article soit ennuyeux… 😉
Bien à vous,
FXF
P.S. : Selon l’écrivain Susan Sontag, l’ennui a un but créatif, il est une fonction de l’attention. Nous apprenons de nouveaux mode d’attention -c’est-à-dire, privilégier par exemple l’audition sur la vision- mais tant que nous nous limitons à nos habitudes de perception, nous trouvons X ennuyeux… par exemple rechercher le sens plutôt qu’écouter les sons (être trop orienté sur le message). Peut-être que, après répétition de la meme phrase/séquence/image dans un texte, un film etc. si nous nous ennuyons, nous devons nous demander si nous avons mis en place le bon mode d’attention. Ou peut-être encore devrions-nous en mettre deux en place simultanément, comme le sens et le son ? (in : As Consciousness Is Harnessed to Flesh: Journals and Notebooks, Susan Sontag 1964-1980)
(Ref. 1) Quand l’enfant s’ennuie / Adam PHILLIPS in Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 34 -1986
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