Comprendre le numérique ou apprendre le code ?

De la confusion entre apprendre la pensée algorithmique et apprendre les usages numériques…

Paradoxale injonction que celle qui est faite aux parents d’apprendre à leurs enfants à coder, et en même temps des les tenir éloigné des écrans…

On entend de plus en plus parler de l’apprentissage à l’école du codage pour enfants, et dans les beaux quartiers fleurissent les ateliers extra-scolaires décodage, coding gouters, etc. …
Le discours des éditeurs de logiciels sur une pénurie de compétences est repris à l’envi : il faudrait à tout prix, pour assurer l’avenir des nouvelles générations, leur apprendre à programmer… De même, quand les commissaires européens invitent les ministres à « veiller à ce que les jeunes puissent déchiffrer le code », ils présentent les compétences en programmation comme « une solution au chômage des jeunes et au déficit de qualifications dans les TIC » (propos rapportés par le CIEP) ,
Comment l’école s’en saisit-elle ? L’apprentissage du code est entré depuis 2015 dans les programmes scolaires français et fait l’objet d’une nouvelle épreuve du brevet des collèges… Mais entre la volonté ministérielle et les réalités de la formation des professeurs et de la mise à disposition des outils il y a un monde -j’apprends à ce sujet par @switchtoprof qu’elle consiste à décoder un bout de scratch sur papier ! ce qui est bien différent de créer un code scratch en réponse à un besoin exprimé, avec boucle de rétroaction de l’ordinateur comme il le souligne-.
Quant au « Plan numérique pour l’éducation » (lancé en 2016) et autres communications ministérielles, ils cultivent tels qu’ils sont communiqués allègrement la confusion entre l’outil de changement de l’institution, l’outil d’apprentissage, et le contenu pédagogique : on y évoque pêle-mêle adaptation des établissements scolaires aux outils informatiques, ressources numériques, objets connectés, et apprentissages numériques et nouvelles technologies en écoles primaires et collèges. Ce n’est probablement qu’un problème de retranscription de directives spécialisées multiples et complexes, je ne suis pas au fait des détails, mais depuis l’échec du Plan Informatique Pour Tous initié par Mr Fabius en 1985 on est en droit d’être méfiant à l’endroit de l’angle d’approche institutionnel ainsi que de ses prémisses.
Surtout, les promoteurs du tout-numérique à l’école sont suspects d’arrières-pensées car ils ont tendance à être les partisans de la remise à plat radicale de l’école, ce qui -pour justifiable que ce soit- n’est pas du tout le meme objectif.

Bref, il est tout indiqué pour les parents de s’en préoccuper par eux-même.
Car l’enjeu n’est pas ici de trouver futur travail, mais plus exactement de comprendre ce qui se met en ce moment en place : un monde régi par les algorithmes. Un monde où il est indispensable de comprendre la logique informatique si l’on veut pas en être victime, ou si l’on veut rester maître de son destin et protéger ses libertés.
Quant à apprendre un langage particulier on sait bien que son choix doit essentiellement être déterminé par l’approche pédagogique recherchée puisque nul ne sait dire quel langage sera majoritairement utilisé dans 10 ans , alors que la programmation en langage naturel approche à grands pas…
En outre, comment voulez-vous faire rêver les gamins et leur faire comprendre les enjeux tant que le fantastique potentiel de l’informatique si vous leur dites juste qu’ils doivent apprendre un langage pour leur futur travail. C’est comme leur apprendre à trier les boulons en leur disant qu’ils en auront besoin quand ils travailleront à la chaîne : c’est démotivant, ça ne correspond pas à leur futur probable, et ça ne leur apporte rien dans leur construction cognitive.

Il y a donc bien deux choses distinctes :

I/ comprendre le « monde numérique » :

Regarder Youtube sur une tablette ne veut pas dire maîtriser l’Internet et ses usages. Les enfants baignent dans un monde d’écrans et d’automatismes, TOUT est numérique pour eux (où l’on voit d’ailleurs que parler de numérique ou de digital ne veut pas dire grand chose en conséquence… 😉 ) mais ce qu’on ne leur apprend pas ou peu à l’école (et nulle part, en fait) c’est de gérer les modes relationnels, d’organisation de projets que les outils informatiques impliquent, et l’état d’esprit pour rester maîtres de ces outils, et ne pas être asservi par qui que ce soit par leur truchement. Il est urgent de transmettre au plus grand nombre cette culture numérique globale, qui recouvre des dimensions aussitôt variées que la protection de ses données personnelles, le fonctionnement de l’Internet des objets, ou la détection des « fake news »… L’on voit ici qu’au-delà de l’outil informatique on parle bien ici des humanités, de l’esprit critique et de la culture générale…
Comme l’énonce Yuval Harari, personne ne peut prédire avec exactitude les aptitudes dont les enfants auront besoin en 2050… autant donc leur donner la forme d’esprit et la confiance pour s’adapter à l’inconnu ! Ma proposition à ce sujet serait d’apprendre aux enfants le hacking, seul moyen intelligent de regarder sous le capot et de comprendre au-delà de la machine … proposition iconoclaste et subversive mais… j’en parle dans cet autre article « Apprendre le hacking aux enfants (et les éveiller à toutes sortes de choses) »

II/ assimiler la pensée algorithmique :

L’apprentissage du code façonne et structure la pensée de la même façon que le fait l’apprentissage du langage (lire à ce sujet la « Leçon » de Roland Barthes) . « Comprendre comment exprimer les concepts pour permettre à un ordinateur d’effectuer des tâches précisément et efficacement est bien plus important que le langage de programmation utilisé », explique Léon Sterling, professeur émérite et ancien doyen de l’université de Swinburne, en Australie, qui conclut combien la « pensée algorithmique », ou « pensée informatique », amenant à raisonner de façon abstraite sur la façon de traiter des tâches, est d’un intérêt primordial. Pour coder, les élèves doivent tout d’abord apprendre à « gérer un projet » et donc clarifier ce qu’ils veulent créer, décomposer leur démarche en différentes étapes, jusqu’au résultat. L’apprentissage de l’informatique stimule le raisonnement et peut aider à mieux comprendre d’autres disciplines. Il s’agit donc d’un sujet consubstantiel au précédent, mais non substituable… L’ objectif ici devrait être de développer la capacité d’analyse et de résolution de problèmes, dès le plus jeune âge.

Jean Piaget dit que l’enfant est un logicien en herbe, qui donne un sens aux objets en faisant émerger leurs propriétés et fonctions. Il réinvente le monde physique (c’est la théorie du constructivisme). Le raisonnement est la forme optimale de l’adaptation biologique, donc du cerveau et la logique et les mathématiques sont le raisonnement. Seymour Papert, le disciple le plus fidèle de Jean Piaget, a développé le langage logo dans cet objectif : un outil pour améliorer la façon qu’ont les enfants de réfléchir et résoudre les problèmes. Souvenez-vous : L’objectif était de gérer les actions d’une « tortue logo » et les enfants étaient amenés à l’utiliser pour résoudre des problèmes simples dans un environnement ludique. L’objectif essentiel du groupe de recherche de la fondation logo au MIT était de renforcer la capacité à acquérir du savoir.
A présent, Scratch est le digne héritier de ce langage. Scratch est un langage de programmation graphique manipulable et exécutable par le logiciel de même nom à vocation éducative. Il facilite la création d’histoires interactives, de dessins animés, de jeux, de compositions musicales, de simulations numériques et leurs partage sur le Web. http://scratch.mit.edu

Mais il n’est meme pas besoin d’un ordinateur pour apprendre les bases de la pensée algorithmique (le code, si, hein, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit !). Nous en parlons dans notre prochain article.
A suivre, un article sur des pistes pour l’apprentissage du code.

sources : https://www.inriality.fr/education/pourquoi-il-faut-enseigner/
https://www.nytimes.com/2014/09/11/fashion/steve-jobs-apple-was-a-low-tech-parent.html

6 Responses to Comprendre le numérique ou apprendre le code ?

  1. Lili Dans Les Etoiles

    Juste : MERCI pour cet article !
    Il était ce dont j’avais besoin pour me remotiver sur un projet…

    • fxf

      Oah ! 🙂
      Ben… merci ! C’est Cool si cela vous a donné de la motivation 🙂 vous me tiendrez au courant de votre projet ? Bon courage, force et Kouign Amann !
      Fxf

  2. Pingback: Les vertus du bricolage / une petite analyse de sa vraie nature - Toysfab

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